Pourquoi les viols de Zak Ostmane et Théo L. sont bien (entre autres) des agressions homophobes
Entretien dans Philol, 23 mars 2017
La semaine dernière, Zak Ostmane, 35 ans, est sorti boire un verre dans un de ses bars préférés, à Marseille. Quelques heures plus tard, il s’est retrouvé séquestré dans une chambre d’hôtel où il s’est fait tabasser et violer par deux hommes. Le calvaire a duré 48h, jusqu’à ce qu’il parvienne à s’échapper. Les agresseurs ont été mis en examen et placés en détention provisoire pour quatre chefs d’accusation : viol, séquestration, vol aggravé, violences aggravées et extorsion. Il n’en manquerait pas un ?
« Détail » de l’histoire : Zak Ostmane est un réfugié algérien, militant LGBT, fondateur d’une association d’entraide pour les maghrébins victimes d’homophobie, Shams. Les deux auteurs présumés sont des légionnaires étrangers. Selon le témoignage de Zak Ostmane, ils ont proféré à son égard des insultes homophobes, antisémites, et racistes. De plus, le bar où tout a commencé était un lieu connu pour être gay-friendly.
La LGBTphobie peut être une circonstance aggravante de certaines infractions comme le viol ou la violence, c’est-à-dire qu’elle peut alourdir la peine encourue. L’article 132-77 du Code pénal exige des manifestations extérieures d’homophobie concomitantes à l’infraction : « l’infraction est précédée, accompagnée ou suivie de propos, écrits, utilisation d’images ou d’objets ou actes de toute nature portant atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime ou d’un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de leur orientation sexuelle vraie ou supposée ».
Or comme le dit Zak Ostmane, « le caractère homophobe de l’agression n’a pas été retenu et ça me choque beaucoup ». Virginie Godet, porte-parole de l’association SOS Homophobie, scande que le « caractère homophobe ne fait aucun doute ». L’association a parlé, en début de semaine, de l’éventualité de se porter partie civile, mais ne s’est pas encore prononcée en attendant les résultats de l’enquête. Zak Ostmane sera représenté par un avocat « engagé de longue date contre les violences faites aux personnes LGTIQ », et dont la mission sera de « démontrer le caractère homophobe des actes commis contre Zak afin que cette circonstance aggravante soit reconnue. »
Zak Ostmane après son agression.
Pourquoi le caractère homophobe a-t-il été écarté ? Le parquet de Marseille le dira lorsque l’instruction sera terminée. En attendant, pour Sébastien Chauvin, sociologue et professeur à l’Institut de Sciences Sociales de Lausanne, cela peut être une erreur liée à une logique qui simplifie l’homophobie. Spécialisé sur la question du genre et de la sexualité, il est l’auteur de Sociologie de l’homosexualité (2013, La Découverte).
PhiLoL : Pourquoi le motif homophobe n’est souvent pas retenu lorsque l’agression d’un homosexuel est sexualisée ?
Sébastien Chauvin : C’est une erreur, pour deux raisons. D’abord, dans les violences qui touchent les minorités stigmatisées, il est rare que l’agression ait un seul et unique motif. Dans ce cas, on n’a retenu que le motif crapuleux et pas le ciblage homophobe.
Ensuite, notre perception de ce genre de violences tend à s’appuyer sur une compréhension très simpliste à la fois de l’homosexualité et de la logique de l’homophobie. Il y a un modèle dominant selon lequel : il y a des homosexuels d’un côté, et des hétérosexuels de l’autre. Certains hétérosexuels n’aiment pas les gays : ce sont des homophobes. Sauf que souvent, comme c’est le cas pour Zak Ostmane, l’agression est sexualisée, il y a viol. Si on suit cette logique simpliste, un homophobe ne peut avoir de relation sexuelle avec un homme. On commet alors l’erreur de dire : ce ne peut pas être un crime homophobe.
Il faut déconstruire cette logique simpliste. Il ne s’agit pas de dire que ces violeurs étaient des homosexuels refoulés. On pourrait comparer l’homophobie à la violence sexiste. Les viols de femmes sont à la fois misogynes et porteurs d’un désir sexuel. Cela montre que l’idée de détestation et l’idée de désir ne sont pas contradictoires. L’homophobie fonctionne de façon similaire : c’est à la fois la haine des homosexuels et la domination des homosexuels. Cette domination peut prendre une forme sexuelle, parce que le désir n’est pas toujours un désir d’égalité, cela peut être un désir de domination. C’est pour cela qu’un homophobe peut violer un homosexuel : ce n’est pas contradictoire.
Quelle est la spécificité de la haine homophobe ?
Le motif homophobe est fort car il touche à des paniques corporelles et à une haine plus intime. L’américain Léo Bersani parle de « réaction à une possibilité interne ». Il y a l’idée que la victime est considérée comme un risque sur l’hétérosexualité de l’agresseur… comme si le gay pouvait rendre gay. Cela touche des contradictions internes chez les agresseurs. Imaginons qu’un homosexuel fasse des avances à un hétérosexuel, qui réagisse par un acte violent. Ce dernier dira : « je n’ai pas pu me retenir ». C’est le thème de la « panique hétérosexuelle ». Avant, c’était considéré par la justice américaine comme une circonstance atténuante ! Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Quel est le lien entre homophobie et violence ?
Dans le cas de Zak Ostmane, on a affaire à des individus d’extrême droite par ailleurs légionnaires. La violence entre hommes est fréquente dans ce genre de milieux dits homosociaux (qui regroupent des individus du même sexe), où il y a une hiérarchisation entre les « vrais hommes » et les « moindres hommes ». Un homosexuel est considéré comme un moindre homme, notamment s’il présente une expression atypique de genre. Il paraît différent sur le plan du genre, comme s’il était abusable… et potentiellement, aimant ça. Ce n’est plus l’idéologie dominante aujourd’hui. On ne distingue pas la sexualité en fonction de la « performance de genre ». Mais il y a des anciennes visions patriarcales qui nourrissent certains groupes, comme les milieux militaires, les groupes de skinheads (où il y a des femmes, mais elles ont un rôle subordonné). Les relations entre hommes dans ces milieux se construisent sur le modèle de la domination : se faire pénétrer y apparaît comme une défaite ou une preuve de soumission. Aussi, il y a des cas d’agressions qui relèvent de ce même schéma patriarcal, mais qui ne touchent pas des homosexuels. Prenons le cas de Théo, violé par un policier : il n’était pas efféminé, ni a priori homosexuel, mais il y avait chez l’agresseur un désir d’humiliation qui s’est traduit par un viol. C’est un acte de violence entre hommes qui s’inscrit dans ce même schéma patriarcal, dont la violence n’est donc pas uniquement dirigée vers les femmes. Dans ce cas, on devrait parler de crime patriarcal (et en l’occurrence raciste) tout autant que de crime homophobe.