Mercredi 22 juin 2016
Face aux agressions physiques et verbales, comment en finir avec l’homophobie ?
Certes, les violences homophobes sont les « décrets d’application » des lois symboliques et juridiques : c’est en les rapportant aux inégalités de droit et de légitimité entre sexualités, aux discriminations réellement existantes au sein d’un monde (encore) hétérosexiste, qu’on en restitue la logique sous-jacente et qu’on comprend un peu mieux pourquoi leurs auteurs se sentent autorisés à les commettre. Ainsi on évite le double piège de la pathologisation et de la culturalisation. La première interprète l’homophobie des dominants (nationaux, blancs) comme propre à tel ou tel individu et à son histoire personnelle, tandis que la seconde rapporte l’homophobie venant de groupes « altérisés » (migrants, minorités ethniques ou religieuses) aux seuls traits collectifs de leur culture d’appartenance.
Mais s’arrêter là ne permet pas de saisir la complexité de l’homophobie contemporaine, qui s’inscrit dans un contexte inédit d’accroissement de l’égalité entre homos et hétéros, fruit des luttes LGBT des dernières décennies. Dans beaucoup de pays, cette égalisation partielle se traduit dans une banalisation et une visibilité accrue des identités non hétérosexuelles, de plus en plus reconnues dans leur diversité. Parmi les privilèges que perdent les hétérosexuel-le-s, le plus difficile à lâcher est sans doute celui du bon sens et du sentiment paresseux de leur propre normalité. Quand l’homophobie va de soi, elle n’a pas toujours besoin d’être violente. Mais lorsqu’elle doit être rappelée contre le nouveau sens commun démocratique, la violence réactive des tenants de l’ancien ordre peut se faire plus brutale. Il faut désormais aller manifester pour l’inégalité.
Il y a autant de types d’homophobie que d’aspects de l’homosexualité qu’il est possible de rejeter. Tantôt ce sera une homophobie aux accents transphobes, sanctionnant la présence de traits féminins chez les hommes et masculins chez les femmes. Tantôt il s’agira pour des hommes hétérosexuels de punir l’indisponibilité sexuelle des lesbiennes – simultanément sur-sexualisées dans l’inconscient patriarcal, qui n’en est jamais à une contradiction près. Tantôt encore elle visera les marques d’affection entre hommes, qui viennent troubler la franche camaraderie virile des espaces homosociaux – des lieux du pouvoir politique jusqu’aux équipes de sport en passant par les conseils d’administration. Et, lorsqu’un nouveau nationalisme « progressiste » non seulement inclut les homosexuel-le-s mais fait de l’égalité de genre et de la diversité sexuelle les symboles privilégiés de l’identité patriotique, s’en servant d’énième prétexte pour prétendre justifier des politiques migratoires restrictionnistes ou racistes, c’est la nation, voire la civilisation occidentale, que peut désormais viser, non sans écho, le massacre de masse homophobe dès lors affublé d’une dimension géopolitique qui, il y a quelques années encore, serait loin d’être allé de soi. Dans tous ces cas de figure, il n’y a pas besoin d’être homosexuel-le pour subir l’homophobie ou pour mourir sous ses balles : il suffit d’en avoir l’air, ou de fréquenter un lieu associé aux cultures LGBT.
Prôner la « tolérance » pour autre que soi suffira-t-il alors à en finir avec l’homophobie ? Si l’on peut en douter, c’est que l’homophobie n’est pas un racisme comme les autres. A la différence d’autres formes de rejet, explique Leo Bersani, l’homophobie est une réaction à une « possibilité interne ». Alors que « même le pire raciste ne pourrait craindre que les noirs aient le pouvoir séducteur de le rendre noir », l’homophobie est hantée par la peur du recrutement – de soi-même ou des « enfants ». Dans cette difficulté supplémentaire se trouve peut-être pourtant déjà la solution : reconnaître dans l’autre, même dans l’hostilité, une possibilité pour soi, c’est déjà avoir fait la moitié du chemin.
Sébastien Chauvin
Sur le même sujet : “Violence(s)” in L.G. Tin (dir.) Dictionnaire de l’homophobie L.G. Tin, PUF, Paris, 2003, p. 421-424.