Sans-papiers : “La circulaire Valls reste dans l’arbitraire du cas par cas”
Le Monde.fr | 29.11.2012 à 17h40 • Mis à jour le 29.11.2012 à 19h14 Par François Béguin (propos recueillis par)
Une circulaire “clarifiant” les conditions dans lesquelles un étranger en situation irrégulière peut obtenir un titre de séjour a été publiée mercredi 28 novembre par le ministère de l’intérieur.
Ce texte vise principalement les familles et les célibataires qui travaillent. Par exemple, pour les parents, le gouvernement exige désormais cinq années de présence en France et un enfant scolarisé depuis au moins trois ans. Pour les salariés, la circulaire articule des critères de présence sur le sol français (trois à sept ans), d’ancienneté dans le travail (huit à trente mois) et d’embauche effective (contrat de travail ou promesse d’embauche).
Le sociologue Sébastien Chauvin, maître de conférences à l’université d’Amsterdam et co-auteur de On bosse ici, on reste ici ! La grève des sans-papiers : une aventure inédite, (La Découverte, 2011) commente la portée de la nouvelle circulaire.
La circulaire de Manuel Valls vous paraît-elle répondre de façon pertinente à la question des sans-papiers ?
Sébastien Chauvin : Si elle est appliquée, cette circulaire comporte un certain nombre d’avancées, qui résultent des combats menés par les syndicats et les associations ces dernières années. Pour les régularisations par le travail, elle formalise des pratiques qui avaient déjà lieu dans certaines préfectures depuis les négociations conduites par la CGT, notamment à partir 2008. Mais ces critères relevaient plutôt de petits arrangements qui variaient d’un département à l’autre.
Parmi ces avancées, on peut citer la suppression de la liste des métiers ou l’intégration des Algériens et des Tunisiens au régime commun. La possibilité de présenter un “cumul de contrats de faible durée”, si elle ne garantit pas la régularisation, représente également une ouverture bienvenue en particulier pour les travailleuses domestiques.
Le ministère de l’intérieur met en avant la “lisibilité” et la “pérennité” de ces critères. Selon vous, garantissent-ils une plus grande égalité pour les sans-papiers dans l’accès aux régularisations ?
Il s’agit d’une circulaire, pas d’une loi. Donc, même si les critères de cette circulaire sont plus précis qu’avant, notamment par rapport aux situations d’emploi requises, cela ne règle pas la question de l’uniformité de son application.
Ce ne sont pas des vrais critères car ils ne sont pas opposables et laissent la décision au préfet.
Presque tout est au conditionnel : “Vous pourrez apprécier…” On reste donc dans l’arbitraire encore une fois rebaptisé “cas par cas”, comme si l’examen des dossiers pouvait se faire autrement qu’individuellement.
Pour Manuel Valls, cette circulaire n’annonce pas de régularisations massives. Il précise même qu’elle “n’a pas vocation à augmenter le nombre de régularisations”. Qu’en pensez-vous ?
S’il croit vraiment en ses critères, comment peut-il le savoir à l’avance ? Le nombre de régularisations relève toujours en fait d’un arbitrage politique. Contrairement à la rhétorique du “cas par cas”, les critères sont généralement établis “au doigt mouillé” en fonction du nombre de régularisations souhaitées.
Comme Manuel Valls ne souhaite pas dépasser la jurisprudence Sarkozy, c’est-à-dire environ 30 000 régularisations par an, on peut donc imaginer que certains critères ne seront pas appliqués. Le ministre annonce néanmoins autoriser les préfectures à “recourir à des vacataires ainsi qu’à des heures supplémentaires”, ce qui laisse penser qu’il compte peut-être dépasser ce chiffre en 2013.
Existe-t-il des différences par rapport aux régularisations de 1981 (131 000 personnes) ou de 1997 (80 000 personnes) ?
La circulaire Valls met en place un mécanisme permanent de régularisations, alors que les régularisations de 1981 et 1997 étaient des programmes ponctuels.
La circulaire Chevènement de 1997 proposait déjà de prendre en compte comme éléments d’intégration dans la société française “l’existence de ressources issues d’une activité régulière” ou encore “le respect des obligations fiscales”, et proposait aux préfets de délivrer des cartes salarié aux régularisés “dès lors qu’ils manifesteront l’intention d’occuper un emploi”.
Mais dans la lignée de l’article 40 de la loi Hortefeux du 20 novembre 2007, la circulaire Valls fait de l’activité salariée un motif plus central de régularisation, contrôlé par des critères plus précis, parfois plus drastiques aussi.
L’activité salariée tout comme le fait d’être parents d’enfants scolarisés répondent aux mouvements des années 2000, autour notamment de RESF et de la CGT, qui ont transformé les représentations des sans-papiers en mettant en avant leur intégration concrète dans les institutions de la société française.
Mais ces critères parfois flous, comme le parcours scolaire “assidu et sérieux” des jeunes majeurs, construisent aussi une image du “bon sans-papier” qui d’une part semble appeler à une discipline dans l’illégalité, et d’autre part risque de contribuer, en valorisant les personnes intégrées, à marginaliser celles qui disposent de moins de ressources.
François Béguin (propos recueillis par)