Les agences de la précarité

Sébastien Chauvin

Les agences de la précarité.
Journaliers à Chicago

Paris: Le Seuil, 2010

— Le Monde-Sciences Po-Syntec Prize for best Human Resource Book, 2011 —

Chapter 5, “Selling Labor”
Chapter 6, “Journaliers à l’usine”

English-language review in Transatlantica

Recensión en español in Cuadernos de Relaciones Laborales

Recensions en français: Contretemps, Alternatives économiques, Sociologie du travail, Le Monde-Economie, L’Humanité, Alternatives Internationales, La vie des idées, Sociologie, Critique Internationale.

Qu’il soit célébré pour sa flexibilité ou dénoncé pour son caractère impitoyable aux plus faibles, le marché du travail américain fait l’objet en Europe d’une attention constante. Il est cependant rarement exploré de première main.

C’est précisément ce projet qu’a mené à bien l’auteur au cours d’une enquête inédite de deux années à Chicago parmi les travailleurs les plus précaires du pays : les hommes et les femmes, immigrés mexicains sans papiers ou sous-prolétaires afro-américains, employés par des agences de travail journalier. Attendant à l’aube avec eux les offres d’emplois quotidiennes dans les locaux de ces établissements, travaillant à leurs côtés dans les usines de la région, et militant enfin dans les organisations où ils se mobilisent,  il en dresse un portrait qui renouvelle en profondeur notre vision de la précarité aux États-Unis et remet en cause les théories contemporaines sur la fonction des intermédiaires de marché du travail dans les pays développés.

Il décrit le système de tolérance généralisée, bien moins répressif qu’en Europe, qui permet l’emploi massif de salariés sans papiers dans l’économie formelle des États-Unis. Il suit pas à pas les étapes de l’embauche dans les agences en montrant comment celle-ci contribue à « produire » une main-d’œuvre « déqualifiée » pour l’industrie locale. Il démontre que la principale fonction des agences n’est pas de faciliter le licenciement des travailleurs mais au contraire d’assurer leur disponibilité permanente, qui implique de longues phases d’attente gratuite. Il analyse le rôle singulier, dans cet effort, du « dispatcheur » de l’agence, salarié chargé, tous les matins, de distribuer les emplois entre les candidats – d’une façon qui combine liste d’attente bureaucratique et favoritisme clientéliste. L’ouvrage questionne les représentations communes qui font des intérimaires des salariés « périphériques » en montrant que les journaliers sans papiers d’Amérique accèdent souvent à des postes d’encadrement dans les usines où ils travaillent durant de nombreuses années, alors même qu’ils demeurent « externalisés » du fait de leur statut illégal.

Il montre aussi les limites de l’utopie néolibérale de la flexibilité absolue : dans les usines et les entrepôts, l’emploi massif, durable et régulier de la main-d’œuvre journalière oblige en effet à la traiter « en masse » et interdit le recours des directions aux formes les plus extrêmes d’intermittence ou d’individualisation. Se fondant sur des archives inédites, l’auteur retrace enfin l’histoire du placement syndical des travailleurs et de son infiltration par le crime organisé. Dans une analyse originale, il montre que les agences en sont les héritières, mettant en lumière non seulement les similitudes de fonctionnement qu’elle présentent avec leurs prédécesseurs, mais aussi les liens réels qui unissent certains propriétaires d’agences et certains syndicalistes corrompus, sous l’égide de la mafia locale.