Sur la route de Washington: le déchirement d’un pèlerinage politique de travailleurs journaliers aux États-Unis

Sébastien Chauvin (2011)

Sur la route de Washington: le déchirement d’un pèlerinage politique de travailleurs journaliers aux États-Unis.

Pp.503-544 in Mathieu Berger, Daniel Cefaï, Carole Gayet-Viaud (ed.), Du civil au politique : Ethnographies du vivre ensemble, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang 2011. Jean Widmer 2012 Prize Université de Fribourg, Switzerland.

Ce chapitre présente le récit analytique du déplacement jusqu’à Washington en mai 2006 d’un groupe de travailleurs journaliers noirs et immigrés hispaniques membres d’un worker center basé à Chicago et s’inscrivant dans la tradition militante du « community organizing » héritière du sociologue Saul Alinsky. Survenant au moment de l’apogée nationale du mouvement des sans-papiers, qui fut l’occasion des plus grandes manifestations de rue de l’histoire du pays, le voyage du worker center jusqu’à la capitale fédérale, qui aurait dû consacrer l’unité organique du collectif multiethnique de Chicago et entériner l’adoubement politique de certains de ses leaders, en a au contraire exacerbé les contradictions, à tel point que l’un d’eux pourra annoncer prématurément, à la veille de notre retour, sa mort imminente. Après un aperçu des relations ethnoraciales dans les agences de travail journalier de Chicago, puis au sein du worker center, le chapitre, fondé sur une enquête par observation participante s’étalant sur 28 mois,  analyse le voyage à Washington comme un rite de pèlerinage pour l’organisation et pour ses membres. Ce pèlerinage s’est avéré un demi-échec : au lieu de renforcer la cohésion du groupe, il a fonctionné comme un révélateur de sa fragilité et de son hétérogénéité, notamment celle due à son souci d’unir sous un même toit associatif sous-prolétaires noirs et travailleurs hispaniques sans-papiers. En s’intensifiant à l’occasion d’un atelier sur l’immigration, la crise s’est racialisée en mettant au jour non seulement les divisions entre journaliers, mais aussi la position de classe de la coordinatrice et des bénévoles blancs du centre, pour un temps sommés par les hommes afro-américains de choisir entre les deux groupes. Cette crise aux multiples dimensions illustre les conséquences contradictoires des grandes marches immigrées de 2006 sur les relations interethniques au sein du marché du travail déqualifié des États-Unis.