Pour une critique bienveillante de la notion de “minorité”

Sébastien Chauvin (2003)

Pour une critique bienveillante de la notion de “minorité”. Le cas des minorités sexuelles. 

Contretemps n°7, mai 2003, p. 26-38.

Sur l’universalisme et la fausse opposition entre luttes particulières et luttes universelles :

En fait, il ne semble pas exagéré de dire que la question de l’universalisme « vertical » (celle de la lutte contre la remonopolisation du « nous », dans chaque groupe dominé, par les dominants-dominés) tend à se résoudre dans l’universalisme « horizontal » (solidarité avec les autres groupes dominés en lutte) : c’est par la problématisation politique de toutes les dominations qu’une formation sociale telle qu’un parti politique peut éviter de renforcer en son sein les oppressions contre lesquelles elle ne s’est pas d’abord construite. Dans cette perspective, il n’y aurait pas d’un côté les « luttes sociales » du « travailleur universel » (qui n’aurait pas d’identité) et de l’autre les « luttes spécifiques » des « identités et appartenances particulières » qui, elles seules, devraient se « dépasser dialectiquement ». Il faut bien garder en tête que la question de l’ « horizon universel » se pose à toutes les dominations. Elle ne doit jamais avoir pour effet de subordonner certaines luttes à d’autres, et ne vise aucunement à tracer une ligne de clivage entre « luttes particulières » et « luttes universelles11 » ou à chercher « quelle domination est la domination universelle » (domination qui elle, serait dispensée de se poser la question de l’universel). La seule manière d’empêcher la monopolisation perpétuelle de l’universel serait donc d’universaliser la question de l’universel, c’est-à- dire de l’appliquer universellement à toutes les « libérations », sans jamais supposer que certaines libérations sont « plus universelles que les autres12 ». Il faut se méfier, en effet, à chaque fois que certaines luttes sociales et pas d’autres sont sommées de prouver leur universalisme. Bref, il n’y a pas d’ « oppression spécifique », parce qu’il n’y a pas d’ « oppression universelle ».

Il ne peut y avoir de sujet universel concret car toute prétention à être un sujet universel est nécessairement solidaire de l’universalisation d’un sujet particulier. S’il est vrai qu’on ne peut quitter l’horizon de l’universalisme, il n’en reste pas moins que l’universel ne peut rester qu’un horizon. Sous peine de n’être plus que l’universalisation d’un particularisme, l’universalisme ne peut rester qu’abstrait.